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Entretien avec franckDavid

Dans le cadre de L'art, le sacré, le laïque et Michel Journiac

Antoine Palmier - Reynaud : Dans l'exposition Fais Gaffe Aux Biches, vous avez présenté une édition dont le titre est 272 pages-262=CELLULOÏD, pouvez-vous nous en parler?


franckDavid : Elle a été réalisée lors d'une exposition au Palais de Tokyo, dont un des modules était financé par la Caisse des Dépôts et Consignations.

Ça a fait quelques beaux jours mais ça s'est arrêté assez rapidement. Je me demande si je n'ai pas été le dernier, après Melik Ohanian, à profiter de ce premier partenariat public-privé au sein de cette institution.
L'exposition s'appelait Celluloid et présentait un certain nombre de  pièces qui, pour moi, annonçaient déjà un intérêt pour le cinéma, sous-jacent à mon travail, mais pas encore très visible. C'était une sorte de préparation à ce travail. Il se trouve qu'a cette même époque Hans-Peter Feldmann avait une rétrospective qui tournait en Europe. C'était la Fondation Tapiès, si je m'en souviens bien, qui était à l'origine de cette initiative. C'était le CNP qui hébergeait le versant parisien de cette rétrospective. Il était donc à Paris, en train de préparer l'expo, en même temps que moi. Elle n'était pas encore ouverte, mais le catalogue était déjà sorti, car il y avait eu déjà une exposition en Espagne. Du coup, ce catalogue, premier gros catalogue rétrospectif de Hans-Peter Feldmann – qui n'était pas une oeuvre en tant que telle, contrairement à ce que peuvent être beaucoup de ses éditions – ce catalogue  s’appelait 272 pages... Parce qu'il comportait 272 pages. À la lecture de ce catalogue, et à la vue de cet objet,  je me suis dit que ça parlait quand même beaucoup de mon travail. C'était peut-être seulement une forme de "narcissisme" commune à beaucoup d'artistes... mais en l’occurrence je trouve que ça parlait vraiment beaucoup de mon travail... Donc, j'ai décidé – car la Caisse des Dépôts et ça c'était formidable, avait une imprimerie interne – d'en tirer quelque chose. Et comme auparavant j'avais déjà imprimé une édition, avec un système de cahier  ... un catalogue en expansion, constitué de cahiers sans couvertures qui, à mesure des possibilités, et des nécessités, surtout des nécessité économiques,   permettait de pouvoir ajouter, empiler des cahiers en démontant tout simplement la structure d'un livre. ... Mais ça ne m’intéressait pas trop de reprendre ça. Donc, en lisant ce catalogue, j'ai pensé que c'était l'occasion de faire un geste et de produire l'objet que vous avez entre les mains. J'ai donc scanné le livre, supprimé toutes l'iconographie et ensuite barré les phrases qui ne m’intéressaient pas, pour ne garder que ce qui pouvait parler de mon travail, et j'ai remplacé son nom par le mien. J'en ai tiré environ 60 pages. J'ai essayé d'aller jusqu'au bout du titre, d'éliminer l'objet en lui donnant pour titre sa constitution. C'était devenu un élément, une pièce de l'exposition au même titre que le reste, visible seulement depuis la librairie.


APR : Dans votre démarche, y avait t-il une volonté de pointer du doigt les permutations possibles des discours, d'un artiste à l'autre?


FD : En l’occurrence, c'est ce qui m’intéressait. Mais Hans-Peter Feldmann n'a pas vu du tout cette chose là. Quand j'ai lancé ce projet, il était à Paris. Évidemment j'en ai parlé aux gens de la Caisse des Dépôts, aux gens du Palais de Tokyo, tout le monde était assez enjoué par le projet. On m'a fait rencontrer assez rapidement Hans-Peter Feldmann. On lui a parlé du projet et à la vue de la maquette du catalogue, Hans-Peter Feldmann n'a pas déridé une seconde. La seule chose qu'il m'a rétorqué, c'est non pas la permutation est possible (rires)- ce qui touchait à des questions d'auteur finalement-, mais il a pris cela comme une critique de son travail... Il n'a pas dit qu'il n'appréciait pas le geste, mais c'était sous-entendu dans son attitude. J'ai eu beau lui expliquer que c'était plutôt une forme d’hommage, en absorbant son travail, en montrant aussi son influence... ça ne l'a pas fait rire... heureusement que j'avais ce soutien d'autres personnes autour... qui ont compris que c'était un geste d'artiste et un possible questionnement sur la permutation, sur l'appropriation  des droits d'auteur... qui est quelque chose qui traîne très profondément dans mon travail et dans le sien. En l’occurrence, pour moi, c'était, oui, poser une question, sur la position d'auteur. Maintenant, ce livre a une vie qui va au-delà de mon travail. On a tendance à l'utiliser non pas simplement comme un livre d'artiste ou comme un geste que j'ai pu effectuer mais comme un référent, comme un texte écrit sur mon travail.


APR  : En même temps, quelque part  on est dans l'hypertexte... je vais lire un extrait du catalogue: “...avec l'aide des jouets les enfants construisent, racontent une autre réalité dans laquelle ils interprètent leurs craintes et leur désirs.C'est une façon d'intervenir sur les peurs, de raconter des histoires .C'est l'outil dont ils se servent pour se représenter le monde, qui leur ouvre en même temps un monde intérieur de fantaisie. Ce qui intéresse David, c'est les fictions et les rêves. Ce qui traverse tout son travail c'est la relation et la tension entre le pareil et le différent...”
Quelque part votre travail joue avec l'absence, l'invisible... Quelque part ce qui est à voir, c'est ce qui n'est pas là... Du coup c'est intéressant de rentrer dans votre travail par un texte qui n'est pas le votre...


FD : Absolument. Ce n'est pas un geste gratuit, C'est un geste extrêmement précis parlant de mon travail. C'est, je pense, un des gestes forts qu'on peut repérer, ou en tout cas qui est très visible, dans cet objet. Mais cette notion de disparition qui prend bien des formes est une chose très très récurrente dans mon boulot...


APR : Dans Fais Gaffe Aux Biches on présentait aussi  un travail qui s’appelle Avertissement. Dans ce travail, vous faites lire à Fabienne Herault, qui est la voix d'annonce de la SNCF, un texte d’avertissement sur le piratage, le copyright... Pouvez-vous nous en parler ? Est-ce un travail qui a été réalisé à la même période que Celluloid ?


FD : Ça n'a pas beaucoup de sens pour moi la notion temporelle au sein de mon travail. Je travaille par cercles, avec des foyers différents, des centres différents... qui  produisent à un moment donné des croisements. La question de la simultanéité de fabrication dans mon travail, la façon dont il progresse ne se place absolument  pas dans une perspective temporelle.


APR : Vous m'expliquiez que vous ne datez jamais votre travail... chose que j'ai d'ailleurs adoptée pour le mien...


FD : Non, en effet, je ne date jamais mon travail. Car ça n'a pas de sens. La nature, la structure, la façon dont progresse mon travail ne se fait jamais de façon linéaire. Moi je progresse linéairement, car comme nous tous, je me dégrade et je vieillis de jour en jour. Mais sinon mon travail lui, ne fonctionne absolument pas dans cette réalité-là, et je pense que chez énormément d'artistes ça ne fonctionne  pas dans cette perspective temporelle, que ça n'a aucun sens d’infliger une lecture chronologique au travail. Du coup, je refuse de dater  le travail, ce qui permet d'éviter la chronologie, mais aussi de le re-contextualiser plus aisément dans des contextes qui ne sont pas ceux de sa fabrication... Même si les pièces portent les signes d'un moment précis, le fait de les enfermer dans ce contexte immédiat ne permet pas de les laisser ouvertes à un autre contexte de lecture.
Dans ce travail, Avertissement, c'est une réécriture du texte d'avertissement sur le copyright qu'on peut lire en début ou fin de DVD, de cassettes. En compilant les différents textes existants, je me suis rendu compte qu'il y avait d'infimes différences, mais que ces infimes différences étaient des ajouts, des interdictions nouvelles, ou des reformulations... et j'ai décidé de procéder à une réécriture. Si vous écoutez précisément, ce ne sont que des négations les unes derrière les autres, qui deviennent absurdes. Elles se contredisent, vous ne comprenez plus la forme, mais vous comprenez le fond. Les formes sont identiques, mais le contenu change. Ce texte-là, je l'ai soumis à cette  personne dont on a tous la voix dans l'oreille. C'est la voix qu'on peut entendre partout en France, dans toutes les gares, toujours la même. C'est la personne qui réalise les annonces pour la SNCF. C'est à la fois un rapport avec quelque chose qu'on a tous vu par des textes, au début d'un DVD, et puis cette voix qu'on a tous entendu. Du coup, c'est une double localisation. Par l'image et par le texte, on a une localisation très privée et intime, qui est celle de la maison, du salon, d'un moment entre amis, et puis par la voix, dans un moment d’extrême mise en espace, on est à la fois dans quelque chose de très localisé, on est partout au même endroit en France. La France avec toutes ses gares n’apparaît plus comme une multiplicité de territoires mais comme un seul lieu. Comme un non-lieu qu'est la gare. Ce qui m’intéressait c'était d'être à la fois dans une mémoire collective partagée (la voix), et une deuxième mémoire collective plus privée (le texte). On est en même temps proche et loin.


APR : Toujours dans le catalogue, je lisais "les images des autres que David manipule appartiennent à la culture populaire et  aux médias, qui sont deux sources d'images communes à de larges couches sociales"... Si ce type d'images vous intéresse, est-ce que des images qui seraient de l'ordre du sacré, voire du religieux vous ont intéressé aussi ?


FD : Le religieux, jamais. Si ce n'est que j'ai pu regarder, comme tout  artiste, les peintures religieuses qui font une grande part de notre culture picturale occidentale. Mais à part ça, je n'ai jamais utilisé d'images avec des signes religieux. Jamais. Le sacré, c'est encore une autre affaire...
Faudrait s'entendre sur ce terme... car il résonne différemment chez chacun d'entre nous. Plutôt qu'utiliser le terme sacré, j'aurais tendance à le remplacer par "la grâce"....


APR : Je lisais, je ne sais plus où, que franckDavid ne s’intéresse pas à Fluxus mais à l’œuvre de Beuys... Mais est-ce que Beuys est une œuvre qui aurait à faire, selon vous avec le sacré ? Aussi, j'ai une autre question, ne pensez-vous pas que Beuys pousse ses spectateurs à devenir des adeptes ?


FD : (rire) Non je ne crois pas. En tout cas je ne crois pas qu'il le voulait. En revanche je crois que oui, il a un rapport avec le sacré... Tel que moi je l'entends... Mais ce catalogue a été fait il y a près de dix ans, donc aujourd'hui, je suis revenu sur Fluxus et aujourd'hui, je ne validerais pas totalement cette phrase... Fluxus m’intéresse autant que Beuys si ce n'est plus maintenant...


APR : Si j'ai souhaité vous inviter dans ces entretiens, c'est aussi parce que j'ai découvert il y a quelques années, par votre intermédiaire, le travail de Paul Thek, pouvez-vous nous dire en quoi il a été important pour vous?... S’il l'a été...


FD : Oui, bien sûr, sinon je ne vous aurais pas conseillé d'aller voir ce travail... Enfin il m'arrive souvent de donner des références à des élèves sans que le travail ne m’intéresse forcément... En l’occurrence, Thek c'est quelqu'un qui est toujours important. Je peux constater qu'en ce moment on parle beaucoup de lui... Pour moi il a été important. Je l'ai découvert à la bibliothèque du jeu de Paume, où je passais beaucoup de temps, et je suis tombé complètement par hasard sur le catalogue de la première rétrospective européenne de Paul Thek, qui est notamment passée par Marseille... Et j'ai découvert une œuvre qui m'a beaucoup étonné. Sur le coup, Je n'étais pas sûr de bien comprendre car c'était tellement protéiforme, mais en  même temps c'était assez confortable, familier, car finalement très diversifié, et c'était quelque chose que je pouvais identifier précisément... comme un proche cousin  de mon travail... Même si je fais des choses très différentes, même dans la forme... en tout cas, dans la manière de faire, dans la curiosité et dans la liberté qu'avait Paul Thek, de produire des formes très différentes et à priori sans lien les unes avec les autres, j'aimais beaucoup ça. C'est d'abord ça qui m'a saisi et séduit chez lui.
Et puis ensuite si on regarde les familles – si on peut appeler ça des familles, en tout cas les groupes de travaux qu'il a produits... En regardant précisément, quasiment tout m'a intéressé, et puis il a aussi déplacé ces questions  d'auteur... Lorsqu'il s'est mis à travailler avec ce groupe d'artistes – je pense a ses processions et ses monuments – la question de la signature n'était  pas encore hyper claire à ce moment là... Il avait toujours cette espèce d'ascendance sur le groupe, mais néanmoins cette notion de groupe m’intéressait beaucoup, même si c'est quelque chose que je n'ai jamais fait de manière très officielle.
Cette notion de sacré traversait l'ensemble de son travail, particulièrement dans ses processions. C'est finalement la partie la moins étudiée, la moins écrite de son travail, aussi peut-être parce que la plupart a disparu ou été détruit. Mais, c'était pas ça qui m’intéressait le plus, c'était plutôt cet énorme vocabulaire, où les expositions deviennent des moments – des moments de travail, car il s'arrêtait quand il avait envie de s'arrêter, le vernissage ne faisant pas date marquant la fin du travail. Cet espace ouvert m’intéressait beaucoup, car il permettait  de déformater le standard de l'exposition. Il était très précurseur de ce qui allait arriver dans le courant des années 90, sous plein de formes différentes. Je le trouve d’ailleurs toujours extrêmement nourrissant, riche et intelligent dans son travail. 


APR : Pour ma part, ce qui m'a intéressé dans son travail c'est d'abord l'énergie. Ensuite,c'est la multitude de pièces, de réflexions, de thèmes abordés qui  articulent profusion et obsolescence... Finalement ce ne sont plus des œuvres mais des instants... Et même si il y a , comme vous le dîtes, une extrême précision dans la production, la gestion de cette production apparaît aussi, parfois, comme désinvolte, ce qui peut être pensé, vu la période, comme un parti-pris vis à vis du consumérisme... Aussi, il pouvait manipuler autant une imagerie qui serait de l'ordre du sacré (je pense à son obsession pour les poissons), que des stéréotypes, des clichés sur la société américaine avec une banque d'images qui elles, seraient plus de l'ordre de la publicité... Y a-t-il chez vous, comme chez lui, la volonté de construire une sorte d'anachronisme thématique ? Pouvez vous nous parler aussi de la notion de "cross-media"?


FD : Oui. Le cross-media, c'est peut-être ce qu'il y a de plus visible dans mon travail, car je peux bosser avec des supports, des formats,  des médias, des fabrications, des vitesses différentes...  Maintenant, le questionnement sur  le sacré, c'est une chose dont on peut être à peu près sûr dans le travail d'Axel Pahlavi. Chez moi aussi on peut placer ce que vous essayer de cerner dans le terme de sacré, là, maintenant, aujourd'hui, autour de cette table ronde... Mais ce sont aussi les contextes, les contextes immédiats, la place de l'art, le contexte de l'exposition, même très localement  le lieu d'expo, là ou ça se situe, son contexte économique, voilà... Ce sont des données qui sont à croiser... Maintenant, le "sacré" ce n'est pas la chose la plus évidente qui traverse mon travail, mais je pense qu'il y a quelque chose de cette nature qui traverse mon boulot malgré tout, même si, encore une fois, je le dis et je le redis, pour moi, j'ai déplacé le vocabulaire vers quelque chose de différent. C'est quelque chose de très personnel. Disons que le sacré s'approche trop d'une lecture qui s’apparenterait au religieux, même si elle peut en être découplée... Mais c'est quelque chose qui me dérange trop pour être gardé en tant que tel. C'est pour ça que je le traduis par un autre vocable. Maintenant voilà, c'est quelque chose qui traverse, au même titre que  la culture populaire, la mémoire collective... qui peut traverser, qui peut être commun à un ensemble, à des groupes... Ça m’intéresse aussi de travailler avec ces groupes, avec ces mythes, avec cet héritage.


APR : Nous parlions de Paul Thek... Sa réception me semble avoir été très différente aux États-Unis et en Europe. Vous travaillez vous-même sur les deux continents, pouvez-vous nous parler de la manière dont est reçu votre travail là-bas ?


FD : Le contexte de  réception n' est toujours pas le même, ça c'est clair. Les Américains ne sont vraiment pas des Européens. Il y a un  rapport à l'immédiateté qu'on connaît... c'est à la fois rempli de clichés,  c'est toujours plus fin fin, le cliché n'est pas toujours véhiculé de manière intempestive... Le cliché de l'Américain qui est une espèce de cowboy, qui va très vite et qui ne réfléchit pas plus loin que le bout de son fusil... à la fois il y a quelque chose de ça  dans l'immédiateté, dans l'appréhension, dans le rapport très vif et très rapide que les Américains peuvent entretenir avec les gens... Quand je dis les gens, c'est n'importe qui, qu'on soit artiste ou non... Il y a un rapport comme çà à l'ouverture qui est extrêmement saisissant, et qui n'est tellement pas européen... Là, pour le coup il y quelque chose de possible qui se met en place. Mais en revanche, derrière ça, il y une rapidité de consommation qui fait que si vous ne tenez pas votre promesse, la relation s'arrête très vite. Et je ne parle pas de relations affectives là, je parle des relations professionnelles, et de la lecture d'un travail artistique. Il faut envoyer derrière, être dans un rapport de  production, quelque soit la nature du travail... Il faut être capable de formuler, de fournir... Si vous ne tenez pas votre engagement, cette confiance qu'on vous donne au début, assez rapidement, non pas sur un CV comme on le fait en Europe, non plus sur le nombre de gens que vous connaissez dans le milieu, pour bénéficier d'un minimum de crédibilité et de confiance, vous aurez du mal. L'Américain a cette ouverture, ce don de confiance qui n'est pas non plus léger ... à priori, c'est plus simple de montrer son travail en Amérique qu'en Europe...


APR : Pour en finir sur Paul Thek, une chose assez surprenante c'est sa collaboration avec Warhol... Pouvez-vous nous en parler ?


FD : C’est étrange... ça a semblé avoir été une vraie opportunité de terrain... Paul Thek, "artiste d'artiste", comme on l'a nommé. Quelqu'un de très au fait du contexte dans lequel il évoluait... Je pense que c'était oui une opportunité, mais au-delà de ça, je pense que Thek ne faisait pas des choses opportunes. je pense vraiment que c'est quelque chose de l'ordre de "et si on faisait quelque chose ensemble?"... Je ne suis pas sûr que Paul Thek soit allé chercher Warhol... mais peut-être que je me trompe... Peut-être qu'il y a des textes à propos de cette rencontre. En tout cas, je n'en ai pas lu... C'était, à priori une rencontre. Simplement. Vu le contexte américain que j'évoquais, New York les réunissant, il y a cette transmission d’énergie, cette facilité qui à un moment donné permet de faire quelque chose avec truc, avec machin... Encore une fois, je n'ai aucune preuve de ce que j'avance.


APR : Mike Kelley, dans son texte sur Paul Thek, explique que cette collaboration ne pouvait avoir lieu qu'a ce moment-là, car Warhol et Thek évoluaientt vers quelque chose de totalement opposé...


FD : On voit bien là que l'un et l'autre s’intéressaient mutuellement... Mais oui, Paul Thek après les reliques commençait les processions. Même si je ne sais pas ce qu'il avait en tête à ce moment-là, il était déjà parti dans ce travail des processions et des monuments qui allait l’occuper quelques années. Mais on peut comprendre que les reliquaires aient intéressé Warhol...

L'image et l'objet des clones... les reliquaires... C'est en tout cas une série de pièces magnifiques bien que très étranges...


APR : ...oui...entre chair et publicité... Axel Pahlavi me disait que Paul Thek a finit sa vie dans le monastère de la Transfiguration... est-ce que ça vous dit quelque chose?


FD: Je ne sais pas si il y a fini sa vie, mais oui, il écrivait très régulièrement des demandes pour y séjourner. C'est certain qu'il y passait du temps, mais je ne saurais pas dire si il y a fini sa vie...


APR : Énormément de mystères dans la vie et le travail de Paul Thek... le monastère en est un... autant que les boulots disparus, la question de son groupe...


FD : Ce sont d'autres questions... Il n'avait pas une thune... Ses trucs, ça ne tenait pas dans 1m2 de stockage ... c'était énorme ! Donc il les laissait dans les dépôts des musées le plus longtemps possible, sauf que les directeurs de musée en avaient bien évidemment ras le bol de stocker 150m3 de pièces de Paul Thek... Il ne pouvait pas venir les chercher... Résultat les boulots finissaient à la poubelle... Il n'était pas tant dans l'obsolescence dont vous parliez – même si, à la fois, les pièces pouvaient se désagréger de par leur nature, les matériaux employés certe – mais si il avait pu, avec de l'argent, il aurait stocké avec beaucoup de précision ses œuvres... D'autre part il était furieux que les musées ne les gardent pas en dépôt, certaines lettres sont là pour le prouver. Il avait quand même cette hauteur vis-à-vis du milieu pour demander une reconnaissance, mais aussi pour reprocher aux musées le fait qu'ils ne stockent pas ses œuvres... Il était quand même dans une position, comme beaucoup d'artistes, qui ne lui laissait aucun doute sur le fait qu'il était un artiste important... Il pensait anormal que vis-à-vis de la fonction conservatrice du musée, ses œuvres ne soit pas stockées... Quand bien même ça prenait une grande partie des espaces...


APR : J'ai une dernière question à vous poser Franck, avant de donner la parole à Axel Palhavi et Fabrice Reymond... C'est une question que je pose à chacun des intervenants. Quel est votre regard sur la laïcité et sur le débat qui a été mené, en France, par le gouvernement, sur cette question?


FD : (sourire)... Pas très nécessaire... En tout cas, moi, quand je vois Nicolas Sarkozy, accompagné de Jean-Marie Bigard, aller rencontrer le Pape, et qu'on l'entend nous projeter un rapprochement assez étrange entre curés, paroisse et instituteurs, ça a commencé à légèrement me déranger... Je regarde... Maintenant, je suis un peu plus distant avec la France... Car si j'en suis parti c'est pour plusieurs raisons, et pas seulement des raisons économiques... J'ai une espèce de fatigue de ce pays et du milieu dans lequel j'évolue... du coup la laïcité, ça semble très cher à notre président... mais il faut faire attention à ces rapprochements. Ce n 'est pas pour rien qu'on a séparé Église et État... je suis assez vigilant et méfiant...


APR : Est-ce qu'on peut imaginer, un jour, un travail de Franck David qui parlerait de laïcité ? (sourire)


FD: (sourire)...oui peut-être...en tout cas ça me semble être un espace a sauvegarder. Je ne sais pas... (rire)


Fabrice Reymond : Je regrette que tu sois pas là....


APR : Une ultime question, pouvez-vous nous parler du travail que vous aviez présenté dans l'exposition Freak Show , qui se titrait  "Vanité (présomptueux)?


FD : C'est une grosse cuillère retournée sur elle-même. Le contenant devient le contenu. Souvent mon travail procède de plusieurs sources à la fois. En l’occurrence, formellement, c'est un étirement de la matière, cette grosse cuillère se retourne et clôt un espace qui est un contenu. Cet espace n'est donc plus là mais prend la forme d'un œuf.... En même temps, on se sert souvent d'une grosse cuillère pour ramasser un œuf, dans l'eau chaude par exemple... Ce qui m’intéressait c'était de retrouver l’œuf par l'étirement de la matière... L'objet est produit par un geste : l'étirement. Souvent il y a dans mon travail des gestes qui sont à l’œuvre : le recouvrement, l'étirement... voilà... Il y en une dizaine, pas plus... et ils sont là pour dire d'autres gestes, d'autres moments... En l’occurrence, ma cuisine était mon atelier, j'ai donc beaucoup travaillé avec de la nourriture, des objets, des moments (le repas)... ça en fait autant partie, que ça produit de signes liés aux natures mortes, aux vanités... elle est close sur elle-même, et en même temps c'est une déperdition de la matière, c'est un miroir déformant, la cuillère d’argent dans la bouche, le langage passe par là aussi... Ce qui produit quelque chose de l'ordre du cabinet de curiosités... C'est une sculpture, elle a été taillée non moulée.

 

APR : Dans votre travail, même si il n'y a pas tous les codes de l'art corporel ou de la performance, seriez vous d'accord pour dire qu'on est plus dans un registre de l'action que dans celui de  l'installation ? Vos travaux performent pour vous... quelque part vous êtes un performer sans corps... êtes- vous  un perfomer sans l'ê(E)tre?
 

FD : Oui. C'est quelque chose qui était là très vite dans mon travail. Sur cette question, je reviendrais très vite à Paul Thek, sur cette question du format imposé de l'exposition, à savoir un vernissage qui marque un “instant T” qui est celui du début de l'exposition, puis, ensuite, l'exposition... Lui, en fait, continuait de bosser... Et c'est quelque chose qui m'est souvent arrivé... à défaut d'espace ou d'atelier, souvent je n'ai pas pu réaliser la totalité des pièces que je souhaitais présenter, donc elle sont faites au milieu de l'espace de monstration qui devient un lieu de production. J'ai souvent excédé ce temps de fabrication qui se clôt par le vernissage, où on est censé être prêt à montrer... Et souvent, je n'ai pas été prêt à montrer... donc j'ai déplacé ce format en quelque chose qui est plutôt un process, voire une performance. En tout cas, même si c'est quelque chose qui n'a pas toujours été perçu par mes galeristes, ou par d'autres personnes des centres d'art, comme une performance, mais plutôt comme une déconnade de l'artiste qui n'est pas prêt, moi, j'ai souvent perçu et vécu cela comme une performance. Le fait de ne pas avoir vu les pièces avant, de ne pas avoir le temps de recul entre production et exposition, relève, pour moi d’une forme primaire, simple, de la performance. Je ne fais pas moi mais je fais faire... Ce rapport au "faire" m’intéresse, très intimement, dans le travail. Il y a quelque chose de la performance que j'ai intégré. C'est vrai. En effet, si l'installation est un mot qu'on peut mettre plus souvent sur la forme finie et à voir de mon travail, je suis d'accord avec votre analyse.
 

APR : Michel Journiac est aussi un artiste qui a utilisé l'exposition non pas comme une fin mais comme un medium... Est-ce qu'il vous a intéressé ou inspiré?
 

FD : Non. Je ne peux pas dire qu'il m'ait inspiré. Mais c'est quelqu'un qui m’intéresse... et qui ne m’intéresse pas toujours... Je n'ai pas fait le tour du travail... C'est quelqu'un que je regarde... avec encore beaucoup de zones obscures pour moi... Ce n'est pas cette chose du format qui m’intéresse chez lui. Ce n'est pas si symptomatique de son travail... Par rapport à ça, ce n'est pas lui qui m'a le plus marqué car je ne trouve pas que ce soit ça qui soit le plus saisissant... Je n'arrive pas encore à faire le lien entre beaucoup de choses et questions qu'il a posées... L'art sociologique c'est une chose qui m’intéresse mais avec laquelle je garde beaucoup de distances encore, comme cette question du sacré... Toutes les formes d’exotisme d'une manière ou d'une autre, tout ce qui pourrait être des signes très aigus, trop marqués, sont des signes que je fuis. J'ai habité en Inde... mais vous ne verrez jamais chez moi quelque chose qui puisse rappeler  l'Inde... Peut-être une photo qui pourrait circuler mais toute forme d'exotisme, quelle qu’elle soit,  est quelque chose que je prends avec beaucoup de méfiance.... Le travail de Journiac est quelque chose d’extrêmement puissant, qui a posé les bases de l'art sociologique, mais en l’occurrence ce n'est pas quelque chose que je peux embrasser simplement et évidemment. Du coup, je regarde plutôt l’essence de son travail que la question du déplacement du format de l'exposition.
 

APR : Dans le catalogue sur l'exposition de Journiac, à Strasbourg, Arnaud Labelle Rojoux parle de son travail sous l'angle du toc et du kitsch... Je sais pas si vous avez lu ce texte...
 

FD : Non je n'ai pas lu le texte. Par contre j'ai vu cette exposition car j'habitais Strasbourg a ce moment-là. Mais je ne me souvenais pas qu'Arnaud ait écrit quelque chose dans ce catalogue.
 

APR : J'ai l'impression que vous avez aussi un intérêt pour les matériaux, les textures, les objets, les factures  un peu "fake "... Je pense au chewing gum, au silicone est-ce que vous avez envie d'en parler ?
 

FD : C'est un peu comme des leurres, comme des blagues. Ce n'est pas le fake qui est une blague... je veux dire les blagues opèrent un peu comme "le fake"... C'est quelque chose qui produit un écran... et la question des écrans est importante dans mon travail, et par rapport à Journiac, j'essaye de planquer des trucs qui sont trop visibles, trop aigus... les signes aveuglants, généralement, je les enterre un peu, je les mets derrière des trucs... non pas pour les ignorer mais pour les déplacer et ne pas être aveuglé, pour mieux les voir... Aussi, pour faire apparaître ce qui pourrait plus m’intéresser, je produis des leurres... oui, le fake je l'utilise comme un écran, comme un leurre, comme la blague... mais je ne suis pas l'artiste de la  "blague", comme Arnaud peut jouer avec ses signes là...même si on me renvoit que mon travail est rempli d'humour. Le fake peut s'apparenter à la question de l'écran, de l'intermédiaire qui peuvent produire des filtres...ce sont des choses qui m’intéressent énormément oui... bien que j'ai bon nombre de matières aveuglantes comme la dorure, l'argent, les miroirs, les choses un peu brillantes ou en tout cas qui sont dans l'imagerie de la préciosité ... Il y a peut-être aussi une reconnaissance qui se fait dans cette catégorie de signes et à un moment j'utilise cette catégorie comme des faux repaires, j'utilise ce qui chez elle a de familier pour permettre de voir des choses derrière, différentes, plus pointues.
 

APR : Merci beaucoup Franck.
 

FD : Je vous en prie. Bonne fin de séminaires ou d’entretiens... je ne sais pas comment vous appelez ce que vous êtes en train de faire...
 

APR : Série d'entretiens c'est bien... Je me demande d'ailleurs comment performer l'entretien... Je voulais vous demander, à propos du catalogue de Feldmann si c'était une manière de nier le discours... mais bon... je garde cette question pour une prochaine fois (rires)...merci Franck
 

FD : (rires)... Merci Antoine. Bonne soirée.

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